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Nigel Keay: Music for Small GroupsCritique du CD (traduit de l'anglais) |
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En décembre 2011, Music for Small Groups, le premier CD de musique de chambre du compositeur néo-zélandais Nigel Keay, est paru chez Blumlein Records. Nigel Keay, qui s'est forgé une carrière en tant que compositeur, altiste et chef d'orchestre est né en 1955 à Palmerston North. Il a joué dans l’orchestre Sinfonia de Dunedin, et dans l’orchestre philharmonique d’Auckland, après y avoir été compositeur en résidence ainsi qu’à l'Université d’Otago et à l'École de musique de Nelson. Plusieurs de ses commandes pour des œuvres majeures ont été subventionnées par le Conseil des Arts de Nouvelle-Zélande, notamment son opéra créé en 1991, Au puits de l’épervier. Les lecteurs se souviendront aussi de la création de son Concerto pour alto avec le soliste Franck Chevalier au 29e Congrès international d’alto à Wellington en 2001. Depuis 1998, Keay réside en Ile de France, où il est actif en tant qu’altiste free-lance et compositeur. Il a été membre fondateur du Quatuor Aphanèse et co-fondateur de l'Orchestre 2021. Music for Small Groups, le premier enregistrement commercialisé de sa musique de chambre, a été financé par une subvention du Fonds d'Amitié - France / Nouvelle Zélande. Cinq œuvres figurent sur le CD: le Trio pour clarinette, alto et piano, Adagietto Antique (2007-2009) ; Variations sur un thème de At the Hawk’s Well pour trio de piano, violon et violoncelle (2001), le Duo pour violon et alto Variations Visconti (2008), son deuxième quatuor à cordes (1995), et Terrestrial Mirror pour flûte, alto et harpe (2004). Keay est l’altiste du premier et dernier ensemble et a produit les enregistrements des trois autres pièces. À première vue, certains aspects de la musique de Keay pourraient sembler classiques, voire conservateurs. Toutes les œuvres figurant sur le CD ont été écrites pour des ensembles instrumentaux traditionnels tels que le quatuor à cordes ou le trio avec piano; même la célèbre combinaison flûte, alto et harpe, utilisée par Debussy dans sa dernière œuvre de musique de chambre majeure dispose d'un fond documentaire. Mis à part le trio pour piano en un seul mouvement, chaque œuvre se compose de trois ou quatre mouvements, avec des indications de tempo simples en italien, et dure entre quinze et vingt minutes. Alors que le rythme est souvent complexe et parfois de façon extrême, il y a peu de changements de mesure ou de tempo interne dans la plupart des mouvements. Le plus surprenant, cependant, est l'absence totale de toutes les techniques instrumentales modernes ou les effets de couleur. Le piano est joué uniquement sur les touches, les vents évitent les multi phoniques et coups des langues excentriques, et, chez les cordes, il n'y a pas un seul tremolo, harmonique, col legno ou même un seul pizzicato. Pour un album de musique instrumentale moderne, ce recours exclusif à niveau technique de jeu est vraiment remarquable. Pourtant, c'est peut-être cette liberté de subterfuges techniques, ou l'utilisation de teinte de couleur pour elle-même, qui permet à la voix individuelle de Keay en tant qu'artiste d’émerger de façon spectaculaire. Sa manière d’aborder la composition de musique de chambre provient de toute évidence de sa vaste expérience en tant qu'interprète (et dans tous ses ensembles de chambre, l'altiste est au centre, et en assure la cohérence), car ce qui compte n'est pas l'ensemble des sons que les instruments peuvent produire, mais les relations entre eux. En gros, Keay traite les instruments dans ses ensembles non pas comme des couleurs sur une palette, mais comme des personnages dans une pièce de théâtre, et de leur interaction dramatique naissent la tension et la résolution de sa musique. Son Concerto pour alto en est peut-être le meilleur exemple : l’orchestre fonctionne non pas comme une entité globale de soutien ou l’adversaire du soliste, mais comme une grande équipe de personnages avec lesquels le soliste, en tant que héros, interagit dans différentes combinaisons au cours d’une grande aventure. De même, dans le trio Terrestrial Mirror, dont le titre est tiré d’une expression de l’historien néo-zélandais Michael King, qui compare l'océan Pacifique avec ses îles éparpillées à un reflet du ciel nocturne, les instruments représentent trois éléments naturels —la terre (harpe), le vent (flûte) et d'eau (alto) — qui convergent pour emmener l'auditeur dans un voyage musical envoûtant. En traitant les instruments comme des personnalités, plutôt que des ressources sonores, les œuvres de Keay reflète l'expérience même du jouer ensemble, et en particulier de la musique de chambre, où les joueurs se mettent d'accord ou divergent, intriguent, se brouillent et se réconcilient, tombent amoureux et se séparent, et connaissent toutes les joies et les douleurs de la condition humaine. C’est précisément ce à quoi la musique devrait tendre, car elle trouve sa plus haute expression en tant qu’art dramatique, plutôt que simple décoration, et pour moi, en tant qu’interprète, je préférerais de loin avoir un rôle à jouer, même petit, plutôt que n’être qu’une simple brique dans un mur de sons. Cela ne veut pas dire que la musique de Keay soit dépendante d’un style traditionnel de composition ou de pratique, car en dépit de travailler dans les limites de la norme instrumentale technique, il produit de la musique d’une originalité frappante qui défie toute catégorisation. Alors que certaines des premières œuvres de Keay, tels que son Quatuor à cordes n° 1 de 1983, ont été fortement influencés par la seconde école viennoise, sa musique plus récente a progressé au-delà de l'atonalité dogmatique tout en même temps pour renouer avec son héritage. Beaucoup de mouvements en Music for Small Groups ont un centre tonal bien défini (Keay semble avoir une affinité pour do-dièse/ré-bémol, et pour le mode mixolydien) ainsi que pour un chromatisme élaboré. Ceci est particulièrement frappant dans le premier mouvement du trio pour clarinette, alto et piano où les notes tenues d’un instrument servent de point d'appui pour moduler en permanence les gestes diatoniques des deux autres, créant ainsi une chatoyante cascade kaléidoscopique d'une grande richesse et beauté. De même, dans le premier et dernier mouvement du Quatuor à cordes n° 2 (et dans une certaine mesure trio avec piano), le violoncelle anime la musique avec des octaves syncopés frémissants qui me rappellent assez les riffs de guitare basse que je jouais dans mes années rock and roll, alors que les cordes supérieures se battent pour avoir l’avantage. Le mouvement central du quatuor comprend un noyau à la fois émotionnel et formel, un tendre Lento ed espressivo avec une mélodie absolument exquise pour l'alto : c’est de loin la plage la plus lyrique de l'enregistrement, et à mon avis du moins, la plus belle. Les mélodies de Keay tendent se développer sur une large étendue —les sauts d’intervalles d'une neuvième ou une dixième ne sont pas rares — comme le ferait un acteur à la voix bien modulée dont le chant aurait un impact dramatique maximum. Ses phrases sont généralement de longueur irrégulière, et s’imbriquent de façon imprévisible, souvent dans des registres et des nuances très différents, alors que les voix instrumentales réagissent et répondent les unes aux autres. Les conclusions des morceaux de Keay ne sont pas parmi les moindres forces de sa musique, car elles rivalisent d'imagination, et surviennent toujours comme une surprise inattendue mais tout à fait logique et satisfaisante, comme une pièce de théâtre se clôturerait par une touche piquante et spectaculaire juste avant que le rideau ne tombe. Toutes les interprétations du CD Music for Small Groups sont uniformément de bonne qualité, mais, je tiens tout particulièrement à féliciter la violoniste Simone Roggen et l’altiste Cyprien Busolini pour leur interprétation sensible des Variations Visconti, qui, en tant que le seul duo du CD, exige une performance exceptionnelle de ses interprètes. Roggen et Busolini utilisent des gradations subtiles de tasto et ponticello, ainsi que la vitesse et la pression de l'archet, pour souligner les contours du phrasé, soulignant avec perspicacité les finesses de la musique de Keay et apportant une profondeur à l’interprétation. Depuis plusieurs décennies, une grande partie de la musique nouvelle, en particulier celle qui a attiré le plus d’attention, a été de nature expérimentale, mais en musique, comme en science, la grande majorité des expériences donnent des résultats négatifs. Certes, il est souhaitable qu’il existe des compositeurs sachant à la fois créer des sons inouïs et les produire d’une manière nouvelle, mais la nouveauté en elle-même ne devrait jamais être le seul, ni même le principal but de l'artiste. On peut avoir quelque chose d'original à dire sans avoir à inventer un nouveau langage pour le dire. Dans cet album de musique de chambre, Nigel Keay montre qu’un compositeur qui a la connaissance et l’expérience de l'interprète peut employer des idiomes et des formats familiers de façon étonnamment nouvelle. Même après plusieurs auditions, ils continuent de révéler de nouvelles surprises. Si je me suis délibérément abstenu de comparer la musique de Keay à celle d’autres compositeurs, c’est parce que, d’une part je n’en trouve aucun à qui le comparer, et d’autre part, parce que de telles comparaisons sont davantage révélatrices des habitudes d'écoute du critique que de la musique dont il est question. Je conseille aux amateurs de musique de chambre curieux d’écouter ce CD eux-mêmes, et, ce faisant de découvrir une voix passionnante et originale de la musique nouvelle. First published in the ANZVS Journal No.32: November 2012 |